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Le 31 décembre dernier marquait, sonnez trompettes et mirlitons !, la fin du deuxième millénaire. C'était aussi le dernier jour de la présidence française de l'Union Européenne.
Notre orgueil national dût-il en souffrir, il est loisible aujourd'hui de se demander ce que l'histoire retiendra de ce semestre où les membres du gouvernement français ont présidé les différents Conseils des ministres chargés, avec le Parlement européen, d'adopter les directives.
Si des avancées significatives ont été enregistrées ici ou là, il n'en reste pas moins que la France n'aura pas su impulser une nouvelle dynamique à la construction européenne, empêtrée qu'elle était dans une campagne présidentielle appelée à durer encore plus d'un an.

Les faits sont têtus, et n'en déplaise aux tenants du souverainisme (de droite comme de gauche), il n'est pas exact de dire que la présidence française a été un échec. Aidés par une conjoncture malheureuse, nos ministres ont ainsi obtenu le renforcement des directives européennes sur le transport maritime ou l'interdiction des farines animales. Martine Aubry s'est aussi beaucoup démenée pour parvenir à l'adoption d'un agenda social européen pour les cinq prochaines années, fixant notamment des objectifs en matière de taux d'emploi ou d'activité féminine. Un accord de principe est aussi intervenu sur le statut d'entreprise de droit européen, un vieux serpent de mer sans cesse reporté depuis trente ans, et qui pourrait éviter les surenchères nationales dans la fixation du siège social des grandes entreprises opérant sur l'ensemble de l'Union.

Et pourtant, on ne peut s'empêcher de considérer qu'un certain nombre d'occasions ont bel et bien été ratées, et ne se représenteront peut-être pas de sitôt. Le sommet de Nice, par exemple, s'est réduit à un débat de marchands de tapis sur la pondération des voix au Conseil ou le nombre de commissaires, et la proclamation de la Charte des droits fondamentaux est passée pratiquement inaperçue. Il est vrai que, faute sans doute d'engagement suffisant de la France sur ce dossier, le texte en question paraissait quelque peu filandreux. La déception fut d'autant plus amère que cette charte, pour insuffisante quelle soit, notamment dans le domaine des droits sociaux, n'était même pas intégrée aux traités, lui ôtant pour le coup toute portée contraignante. Lorsqu'il s'était agi d'imposer aux peuples européens les trop fameux critères de convergence sur l'inflation ou le taux de déficit public, on avait connu un gouvernement français plus offensif...
De même, l'accent porté uniquement sur les règles institutionnelles permettant l'élargissement a sans doute nui aux efforts visant à faire de l'eurogroupe un pendant politique efficace à la toute-puissante Banque centrale européenne. Et l'harmonisation fiscale, dont la nécessité est pourtant de l'ordre de l'évidence, n'aura guère avancé d'un pouce (complaisance coupable envers nos amis du New Labour ?), desservant du même coup nombre de dossiers économiques importants, comme celui de l'agenda social.

Pour tout dire, si nos partenaires ont pu parler d'« arrogance » à propos de l'attitude française, il serait plus juste de la qualifier de velléitaire. L'œil fixé sur l'échéance de 2002 comme naguère sur la ligne bleue des Vosges, les deux têtes de notre exécutif ont fait de cette présidence de l'Union un enjeu de politique intérieure, allant même jusqu'à laver leur linge sale lors d'une conférence de presse devant un chancelier allemand médusé. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que la discussion « technique » sur les conditions de l'élargissement ait prévalu sur les aspects politiques et sociaux. Les instituts de sondages diront si cette stratégie s'est avérée payante à court terme, mais il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner qu'à long terme la construction européenne a connu un coup d'arrêt, et le prestige international de la France s'en trouve aussi ébréché que l'hélice d'un certain porte-avion !

Tous ceux qui, à longueur de congrès, nous expliquaient que l'Europe n'avait pas de tradition fédéraliste et que l'avenir résidait dans les États-nations pourront-ils, à la lumière de ce bilan contrasté, nous expliquer pourquoi les seuls à se faire aujourd'hui les porteurs d'une vision d'avenir pour l'Europe sont, par l'intermédiaire des propositions du ministre des Affaires étrangère Joshka Fischer, les représentants de la République fédérale d'Allemagne ?