(2 janvier 2000)
Deux petits articles parus dans Pour la République Sociale 45, janvier 2000.
La conférence ministérielle de l'OMC, qui se tenait à Seattle du 30 novembre au 3 décembre derniers, s'est donc terminée sur un échec, aucun accord n'ayant été trouvé quant à la poursuite des négociations de libéralisation du commerce mondial.
Notons d'abord que cela ne signifie pas que toutes les négociations sont abandonnées ; dans le domaine de l'agriculture et des services, les accords de Marrakech (signés en 1994, et qui portaient création de l'organisation mondiale du commerce) prévoient en effet de nouvelles rencontres d'ici un an. C'est ce qu'on appelle "l'agenda incorporé".
L'échec de Seattle est bien d'abord l'échec des États-Unis, qui auraient souhaité avancer ces discussions, en gardant un ordre du jour très limité pour profiter de leur situation de force et accorder le moins de concessions possibles à leurs partenaires commerciaux. En tout état de cause, les partisans d'une mondialisation régulée ont gagné un léger répit.
Mais on doit avouer qu'il s'agit aussi d'un échec pour l'Union Européenne, qui souhaitait mettre en oeuvre une négociation globale, incluant par exemple la concurrence, les investissements (remettant ainsi l'AMI en selle) ou les normes de travail. On a même assisté à un spectacle rocambolesque lorsque le négociateur européen Pascal Lamy a voulu faire des concessions sur les OGM pour débloquer la situation. Confondant les institutions européennes avec une A.G. du mouv', les dirigeants des 15 se sont empressés de le désavouer. Cet épisode doit nous faire réfléchir sur la capacité de l'Europe à se doter d'un mandat de négociation clair au niveau international, si l'on veut éviter que de telles gesticulations ne se reproduisent.
Enfin, le troisième échec de Seattle a été celui des pays en développement. L'Organe de Règlement des Différents (ORD), sorte de tribunal habilité à imposer des sanctions aux États mettant en oeuvre des barrières au commerce, semblait devoir leur permettre de peser un peu plus face aux grandes puissances ; ainsi, ils ont été à l'origine de 46 requêtes sur les 182 reçues depuis 1995. Mais lors de la conférence ministérielle, leurs revendications ne pesaient pas bien lourd ; instrumentalisés par les deux blocs, ils se sont montrés incapables de se faire entendre. Le directeur de l'OMC, le Néo-zélandais Mike Moore, avait l'intention de renforcer l'influence des pays en développement; pour la première fois, un Burkinabé avait même été nommé directeur-adjoint cet automne. Il devra de toute urgence proposer des pistes pour une réforme des institutions de l´OMC.
Au-delà des échecs de Seattle (lire ci-dessus), les commentateurs n'ont pas manqué de voir dans ces négociations le triomphe de la société civile. Les télévisions nous ont narré durant toute une semaine les exploits d'un José Bové, pour ne citer que lui, transformé pour l'occasion (merci Luc Besson !) en Jeanne d'Arc boutant les amerloques hors d'Amérique, étendard au vent et roquefort à la main. Cette iconographie mythique est certes séduisante, et c'est vrai qu'il est réjouissant que les opinions publiques, un peu partout dans les pays industrialisés, aient su imposer une telle pression sur les politiques. Néanmoins, prenons garde de penser que désormais, plus rien ne sera comme avant. Parmi les organisations non-gouvernementales qui manifestaient à Seattle, toutes n'avaient pas le même degré de maturité que la Confédération Paysanne. Le fait est que l'on n'a pas assisté à un front uni (à défaut de front unique !) de la société civile pour la régulation de la mondialisation. On pourrait schématiquement dégager quatre attitudes distinctes :
Tout d'abord, une petite frange d'activistes gauchistes. Au sens propre, seuls ceux-ci peuvent être qualifiés "d'anti-OMC". Si, pour des raisons éthico-théologiques ou autres, l'on est contre l'économie de marché, ça n'a bien sûr pas de sens de vouloir la réguler.
Le gros des bataillons de manifestants à Seattle était ensuite composé de membres d'ONG poursuivant des buts extrêmement limités, comme la défense de la forêt amazonienne ou des tortues de mer. Bien sûr, ces causes sont en elles-mêmes tout à fait honorables, mais il faut être conscients des limites imposées à notre action par ce type de monoïdéismes, qui pour l'instant est majoritaire sur les campus américains.
Un troisième groupe d'intérêt représentait les syndicats, l'AFL-CIO américaine en tête. Mais là encore, il n'est pas certain qu'une collaboration durable pourra s'imposer. A bien l'écouter, le discours des militants de la puissante centrale syndicale américaine, qui à l'oreille attentive de la Maison Blanche, réclamait surtout plus de protectionnisme, plus de subventions, plus d'agressivité encore face à la concurrence des autres nations.
Enfin, la dernière composante de cet amas de revendications sectorielles n'est pas nécessairement celle qui a le plus de force à l'heure actuelle. Il s'agit de tous ceux qui agissent pour faire de l'OMC un arbitre crédible du commerce international, pour une économie de marché qui ne soit pas une société de marché, pour le respect de normes de travail qui ne soient pas un outil protectionniste mais un facteur d'aide au développement, pour une solidarité qui ne soit pas que rhétorique avec les pays en développement, et singulièrement les pays les moins avancés. C'est ce combat qui est le nôtre, c'est cette cause que, chacun à notre niveau, il nous appartient de faire progresser.