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Tout commençait plutôt bien pour le gouvernement, en ce mois d'avril pluvieux qui voyait l'examen en première lecture du projet de loi sur la sécurité quotidienne. Fini, le temps de l'angélisme ! On allait voir ce qu'on allait voir, la gauche allait enfin se doter d'un discours et d'un projet crédibles en matière de sécurité, destiné à devenir l'un des piliers essentiels de l'offensive présidentielle en 2002.

Et pschitt ! Comme souvent depuis le début de la législature, c'est l'impréparation du débat parlementaire qui allait contrarier tous ces brillants desseins. Au milieu de la nuit du 27 avril, devant un hémicycle forcément un peu dégarni, un député RPR fait adopter un amendement (qui reçoit alors le soutien des socialistes) soumettant les free parties à autorisation préfectorale et prévoyant la confiscation de la sonorisation en cas d'infraction. C'est le début d'un feuilleton haletant qui, prenant deux mois durant la suite des extravagances du Loft, allait voir la majorité « plurielle » voler en éclats, le groupe socialiste s'opposer au gouvernement, les ministres s'invectiver par voie de presse, pour finir par une retraite en rase campagne, le camp des « teufeurs » renonçant à légiférer en deuxième lecture le 27 juin.
Dans les arguments opposés au ministre de l'intérieur revient toujours un même leitmotiv : une réglementation « trop rigide » (Jack Lang) créerait « un climat anti-jeunes » (Claude Bartolone), « les nouvelles pratiques culturelles de la jeunesse (…) ne doivent pas tomber sous le coup de la répression » (Henri Weber), il ne faut pas « balancer un texte punitif sans sommation » (Catherine Tasca).

Pourtant, à supposer qu'il existe une catégorie objective de la population caractérisée par son âge et au sein de laquelle on puisse isoler un agrégat d'opinions et de conduites spécifiques, homogènes et nettement différenciées de celles du reste de la nation, à supposer en un mot que l'on découvre l'atome de la jeunesse, faudrait-il pour cela lui accorder des droits que l'on refuserait aux autres groupements ? La République ne suppose-t-elle pas au contraire que la loi ne s'adresse aux individus qu'à travers leur qualité de citoyen, et pas en fonction de leur appartenance à telle ou telle communauté particulière ?
Bien plus, il semble que les « amis des jeunes », qui prétendirent à l'occasion s'en faire les porte-parole, se trompent lourdement sur leurs aspirations profondes. Les faits sont têtus ,et les résultats de la partie française de la troisième enquête mondiale sur les valeurs (P. Bréchon [dir.], Les valeurs des Français, évolutions de 1980 à 2000, A. Colin, 2000) méritent d'être soulignés. Contrairement à une idée communément répandue, les jeunes générations n'adhèrent pas à une contestation tous azimuts de l'autorité. S'il est vrai que les 18-26 ans d'aujourd'hui font preuve d'une plus grande tolérance que leurs aînés en ce qui concerne les comportements privés (homosexualité, drogues dites « douces », utilitarisme…), on constate sur la dernière période une progression spectaculaire de la demande de règles et d'ordre public, qui contraste avec l'évolution « laxiste » des générations socialisées durant les « Trente Glorieuses ». Comme le résume Olivier Galland, « la progression du libéralisme des mœurs, entendu comme cette liberté laissée à chacun de choisir sa manière de vivre, ne doit pas être confondue avec la permissivité, entendue comme l'affaiblissement général de toutes normes sociales » (p. 208).

En s'opposant à la réglementation des rave parties, les parlementaires socialistes ne défendaient pas les valeurs des jeunes, mais bien leur propre vision fantasmatique de l'ordre social. Plus que sur la jeunesse, ce psychodrame nous instruit sur une certaine élite politique encore marquée des scories anti-autoritaires et communautaristes des années 70.