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Appartenance et besoin

Les membres de la communauté politique se doivent entre eux une « assistance communautaire » qu'ils ne doivent pas aux étrangers, et qui renforce l'appartenance autant qu'elle en découle. Ils utilisent pour cela une partie de leurs ressources, sous forme d'aide générale (les biens bénéficient à la communauté dans son ensemble) ou particulière (distribuée effectivement aux membres, ou à certains d'entre eux).

L'allocation de ces biens à différents usages dépend de ce que la communauté considère comme étant un besoin, du degré de priorité qu'elle lui accorde, et du niveau de satisfaction des besoins socialement reconnus qu'elle juge satisfaisant.

L'assistance communautaire

Toute communauté politique est en quelque sorte un État-providence, en ce sens qu'elle a recours à la coercition pour maintenir un système public destiné à répondre à ses besoins, en fonction de l'idée qu'elle s'en fait. Si les moyens de financement de ces politiques publiques font et ont fait souvent l'objet de disputes, le principe de l'action publique a rarement été contesté. « En fait, ce qu'il y a de plus fréquent dans l'histoire des luttes populaires est la revendication non pas d'exemption mais d'action de l'État » (p. 117).

Athènes au cinquième et au quatrième siècle

La démocratie athénienne ne se souciait pas de redistribution. L'assistance aux pauvres y était peu développée, et l'éducation ne recevait pas de subsides publics. Par contre, la construction des temples était assurée par la communauté. Elle entretenait un corps de magistrats pour assurer sa défense contre les autres cités, et sa sécurité alimentaire à travers la surveillance des marchés du blé. La police était assurée par des esclaves d'État. Les gymnases et les bains étaient publics, un impôt spécial permettait de donner des fêtes théâtrales. Surtout, la cité consacrait la moitié ou plus de son revenu à indemniser la participation des citoyens aux délibérations politiques.

Une communauté juive médiévale

Au Moyen Age, les communautés juives levaient leurs propres impôts en Europe, dont une partie était reversée au souverain, ou vivaient en terre d'Islam par un système organisé de charité. Ces ressources permettaient d'assurer les devoirs religieux : entretien de la synagogue, des cours rabbiniques et d'autres bâtiments publics, paiement de rançons pour les captifs afin de leur éviter la conversion forcée… Compte tenu des conditions précaires d'existence, l'assistance aux pauvres constituait une source importante de dépenses. L'instruction primaire était aussi largement soutenue par la communauté, soit directement, soit par la prise en charge de tout ou partie des frais de scolarité.

Parts équitables

La part équitable de l'assistance communautaire à laquelle chacun a droit dépend des principes de distribution en vigueur au sein de la communauté. Le financement de l'État-providence ne relève pas du superflu, mais est inclus dans le prix de la survie sociale.

A ce titre, il est guidé par le besoin, qui n'est jamais absolu, mais toujours relatif à sa signification dans une société donnée. C'est pourquoi, les filles ne participant pas aux discussions religieuses et au service de la synagogue, elles n'avaient pas besoin de recevoir une instruction.

De même, l'assistance fait référence à la reconnaissance de l'appartenance à la communauté. En effet, le mode d'administration des secours contribue à rendre la stigmatisation des pauvres plus ou moins prégnante. Chaque fois que l'assistance a pour but d'ouvrir la voie à la participation à la communauté, il est préférable que les prestations soient les mêmes pour tous, sur le modèle de l'indemnité pour la participation à l'Assemblée athénienne.

L'étendue de l'assistance

Des individus rationnels, placés dans une situation hypothétique d'ignorance de la situation sociale qui leur sera assignée dans la société, pourraient fort bien choisir avec Rawls le principe d'une assistance égalitaire pour tous. Mais le choix d'individus réels, vivant dans un certain contexte culturel, ne peut être prédéterminé. Il dépend du débat politique qui s'instaure entre eux.

En effet, l'État-providence ne s'apparente pas à un « club de bénéfices mutuels » (T.H. Marshall) : si la coercition est nécessaire, ce n'est pas parce que certains individus ne comprennent pas bien tous les avantages qu'ils peuvent tirer du contrat social, mais parce que tous ne tirent pas avantage (ou pas au même degré, ou ne croient pas tirer avantage) de l'assistance. Le bénéfice que les pauvres retirent d'un système public de retraites est plus important que celui des riches, qui pourraient s'en passer.

L'étendue de l'assistance dépend de l'intensité du lien moral entre les membres de la communauté.

Un État-providence américain

Pour des raisons historiques, idéologiques et politiques, la forme d'État-providence existant aux États-Unis est faible. Surtout, elle n'assure pas un traitement égalitaire : la justice, par exemple, n'est pas rendue de la même façon pour les riches et pour les pauvres. Il en va de même de la médecine.

Le cas des soins médicaux.

Le soin des corps s'est historiquement construit en Occident autour de la profession de médecin, agissant comme une guilde en vue de défendre les intérêts de ses membres. Pendant longtemps, la médecine avait une efficacité assez limitée, ce qui explique qu'elle n'était pas ressentie comme un besoin social et ressortissait à la libre entreprise. Les médecins exerçaient leur activité contre rémunération auprès des puissants, et les soins étaient prodigués selon la fortune, et non selon le besoin.

Progressivement, à partir des grandes campagnes hygiénistes de la fin du XIXe siècle, on s'est mis à croire à la médecine. Elle est devenue de plus en plus nécessaire au fur et à mesure qu'on ne se résignait plus à la maladie. Le coût de certains traitements excédant largement les capacités d'épargne individuelle, l'assistance collective est désormais requise.

Mais faute d'y consacrer des budgets publics conséquents, l'offre médicale reste organisée selon le principe du marché, qui empiète sur les autres sphères au profit de la guilde des médecins et non de la communauté tout entière. Alors que la santé ne saurait être une marchandise comme les autres, elle est distribuée selon différents niveaux en fonction de la classe sociale et non de façon égale pour tous selon les besoins.

Note sur la charité et la dépendance

Le développement de l'assistance communautaire entraîne le déclin de la charité, et de la relation de dépendance personnelle qu'elle entretenait (même si elle risque de réapparaître au profit des fonctionnaires de l'aide sociale). Néanmoins, cela ne signifie pas que le don doive disparaître.

L'exemple du sang et de l'argent

Richard Titmuss, étudiant la collecte de sang pour les hôpitaux, a montré qu'elle était plus efficace lorsqu'elle reposait sur le don bénévole. De même, la cohésion sociale pourrait être améliorée en encourageant les individus à verser de petites contributions financières à un organisme social pour lutter contre la pauvreté. En fait, ce genre de petits dons, ou la participation bénévole à des activités communautaires, ne produit pas de relations de pouvoir, et améliore grandement la solidarité entre les citoyens.