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L'égalité et les travaux pénibles

Les travaux pénibles constituent un bien négatif, et ils échoient généralement aux catégories les plus défavorisées : étrangers (esclaves, « travailleurs hôtes »), ou « étrangers de l'intérieur » (Noirs américains, femmes…), ce qui constitue une qualification négative.

Le fait pour une communauté de refuser collectivement d'être astreints à certaines tâches ingrates, même lorsqu'elles sont socialement utiles, constitue un progrès de la démocratie, auquel l'État-providence participe en libérant les citoyens du besoin immédiat.

Comme il n'est pas possible de supprimer ces tâches socialement utiles par une automation poussée, il faut bien que quelqu'un s’en charge. Dans une perspective égalitaire, ils devraient être accomplis à tour de rôle par tous les citoyens, sur le modèle de la conscription.

Le travail dangereux

Le métier de soldat est l'archétype du travail dangereux, du moins dans nos sociétés et compte tenu des spécificités de la guerre moderne. Si la conscription en temps de guerre a d'abord pour but de fournir des troupes importantes, sa fonction morale est de faire partager le risque de tuer et d'être tuer.

Mais les risques de certains emplois dangereux, comme celui de mineur, ne peuvent être partagés par l'ensemble des citoyens, du fait des qualités physiques nécessaires et aussi parce qu'ils ne résultent pas d'un ennemi extérieur, mais de la simple négligence de propriétaires exploiteurs. L'égalité complexe impliquera alors de faire porter le partage sur une autre sphère que la sphère professionnelle, en imposant politiquement des normes de sécurité plus draconiennes et en finançant un système de protection sociale spécifique (Cf. retraite anticipée).

Les travaux exténuants

La conscription en temps de paix consiste à faire partager un service pénible à tous les membres d'une classe d'âge. Mais un tel partage ne saurait s'étendre à tous les travaux ingrats. Même si l'on imagine avec Rousseau que la vraie liberté consiste à choisir d'effectuer soi-même les corvées plutôt que de payer des impôts pour les faire faire par d'autres, il est utopique d'espérer que de tels travaux, même si leur exécution n'était plus réservée aux basses couches de la société, feraient l'objet de la même considération que les autres.

Le kibboutz israélien

L'idéologie des kibboutzim visait à valorisait le travail pénible, en particulier celui de la terre, dans le cadre de petites communautés démocratiques où toutes les décisions étaient prises en commun. Dans les années cinquante, elle connut de véritables succès, à tel point que tous se disputaient pour travailler aux champs, alors que les enseignants devaient être désignés. Mais cette inversion des valeurs ne fut toutefois pas complète : le travail dans les cuisines collectives continuait d'être considéré comme particulièrement dégradant.

Sales boulots

Les travaux salissants portent en eux une marque d'indignité, qui s'ajoute à leur pénibilité. Celle-là (mais non celle-ci) pourrait disparaître si chacun nettoyait ses propres ordures, au moins pendant une durée limitée, comme un service national.

La dégradation pourrait aussi être combattue par le marché, en brisant les hiérarchies sociales et en accordant à ces tâches pénibles une rémunération élevée, en monnaie ou en loisirs.

Les éboueurs de San Francisco

Dans les années 50, la moitié des ordures de San Francisco étaient ramassées par le Compagnie des Éboueurs du Crépuscule, gérée selon les principes coopératifs : propriété de ses travailleurs, ses administrateurs étaient élus et les nouveaux membres, cooptés par les membres présents. Ceci explique que les conditions de travail y étaient meilleures qu'ailleurs. Il y régnait une bonne ambiance, d'où un meilleur service. Les accidents du travail étaient moins nombreux que la moyenne, sans doute parce que ces travailleurs avaient une meilleure estime d'eux-mêmes et faisaient plus attention à eux.

Une autre façon de garantir des salaires élevés ou un faible temps de travail consiste à s'appuyer sur des syndicats puissants, comme les éboueurs new-yorkais, dont l'emploi était si envié qu'ils étaient recrutés sur concours.

Alors que la construction des identités professionnelles consiste souvent à reporter le « sale boulot » sur des groupes inférieurs, une autre piste conduirait à repenser la division du travail. Ceci afin qu'un métier comportant des aspects pénibles et salissants soit aussi associé à d'autres tâches plus gratifiantes.

Enfin, on peut aussi jouer sur la « rectification des noms », en espérant associer à une besogne dépréciée mais socialement utile un peu de l'imaginaire social associé à des professions plus considérées (en appelant « infirmiers » ceux qui s'occupent de la toilette des malades).